«La justice congolaise est malade». On ne saurait reprocher au Président de la République, Félix Tshisekedi, de nier cette évidence, car il l’a lui-même reconnue plus d’une fois. Et comme on dit, «la première étape dans la résolution d’un problème est de reconnaître qu’il y en a». Cependant, c’est une chose de le décrier, c’en est une autre d’y remédier, pourrait rétorquer les sceptiques. L’on se souvient que le premier mandat du Président Tshisekedi était inscrit sous le sceau de l’Etat de droit. L’on se souvient également que cet engagement du Président avait commencé à porter ses premiers fruits, notamment avec le procès 100 jours, diffusé en direct à la télévision nationale, qui a suscité un certain espoir dans le chef des Congolais, avant que celui-ci ne s’évanouisse au fil des années.
Voilà qu’à la faveur des états généraux de la Justice, organisé par le tonique ministre d’Etat à la Justice, Constant Mutamba, à l’aube de son second mandat constitutionnel, le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi revient à la charge.
Dans son allocution d’ouverture de ces travaux, il réitère, avec «solennité» et «responsabilité», sa détermination à guérir la justice. Et pour lui, ces états généraux offrent «l’opportunité de scruter l’état de notre système judiciaire, d’identifier les défis qui entravent son fonctionnement et de tracer ensemble les voies de sa renaissance».
Dans le même discours, le Président de la République rappelle à tous les acteurs de la justice la volonté du peuple: ce dernier (le peuple) exige une justice qui porte haut les valeurs d’intégrité, d’impartialité et d’équité.
Garant de la nation, Félix Tshisekedi souligne avec conviction: «Notre appareil judiciaire sera restauré, bon gré, mal gré». C’est dit. Le Chef de l’Etat estime qu’ «un minimum de volonté de nous tous suffit», pour y parvenir.
Tout est décidément clair dans l’esprit du Président: «Le Congo ne va plus tolérer ni l’incurie, encore moins la complaisance». Le Magistrat suprême a dit. Et donc, les magistrats et autres acteurs de la Justice sont avertis.
La question: Est-ce que les politiques le sont aussi? En tout cas, on l’espère, car, souvent, la ligne qui sépare l’Exécutif du Judiciaire est très fine dans les jeunes démocraties africaines, et les ingérences ne sont pas rares. Par conséquent, le respect de la séparation des pouvoirs est un des prix à payer pour que cette justice redevienne réellement «un sanctuaire où nul n’est au-dessus de la Loi» comme le veut le Président Tshisekedi.
Ce n’est qu’à l’aune de cette séparation, de l’éthique et de la rigueur dans le respect et l’application de la loi que le peuple aura «une justice qui inspire confiance».
Lutte contre la corruption
Autre point abordé dans son discours: le détournement des deniers publics. «Ce moment me parait indiqué, comme je l’avais déjà préconisé… de peaufiner davantage la réflexion sur la mise en place d’un Parquet financier ayant pour mission de poursuivre de manière spécifique les infractions de détournement des deniers publics», indique le Président Tshisekedi.
Là encore, le besoin est légitime et sa détermination est à encourager. Mais il y a un hic: est-ce utile de mettre en place un parquet financier?
La réponse serait Non. Et la raison est simple. La RDC a une Cour des comptes qui fonctionne et qui, lors de sa rentrée judiciaire a expressément demandé au Président de la République de renforcer ses pouvoirs, notamment pour avoir plus de marge de contrainte contre les auteurs des détournements.
En plus de la Cour des comptes, le pays a aussi des services qui travaillent dans la lutte contre la corruption, détournement et/ou le blanchiment d’argent. Tenez. Rattachée à la Présidence de la République, l’Inspection générale des finances (IGF) a été, pendant un bon moment, le fer de lance du premier mandat du Chef de l’Etat en la matière, forte d’un appui politique conséquente du Président Félix Tshisekedi. Ce, quand bien même les conclusions de ses missions de contrôle ont quelque peu souffert d’un manque de relai au niveau judiciaire.
Il y a aussi la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF) qui est sous tutelle du ministère des Finances. Sa spécificité: la lutte contre le blanchiment d’argent. Or, qui dit blanchiment d’argent dit argent provenant des sources illicites dont le détournement et la corruption. Avec l’accompagnement politique nécessaire de la Présidence et un financement conséquent, cette cellule pourrait atteindre le maximum de son potentiel et être, elle aussi, un outil efficace dans la lutte contre le détournement.
Aux deux services susmentionnés, s’ajoute l’Agence de prévention et de lutte contre la Corruption (APLC) rattachée à la présidence. L’efficacité de cette dernière est encore à démontrer.
Avec une collaboration bien ficelée, la cour des comptes renforcée et ces services, spécialement l’IGF et la CENAREF, au maximum de leur potentiel apporterait à la RDC plus de résultats dans la lutte contre les détournements de deniers publics et la corruption.
De ce fait, créer tout un parquet parait superflu. A l’heure où l’on réclame de plus en plus de la réduction du train de vie des institutions de l’Etat, et l’on déplore, pour emprunter l’expression du Vice-premier ministre en charge de la Fonction, l’obésité institutionnelle, l’idée d’un parquet n’est pas appropriée. Une telle institution demanderait un frais de fonctionnement, une charge salariale conséquente,… alors qu’il y a des institutions qui n’attendent que d’être renforcées.
Qu’à cela ne tienne, le Président Tshisekedi a affiché une volonté d’améliorer la justice congolaise. Il a émis le vœu que ces assises ne soient pas un rassemblement en plus, mais plutôt avec un plus et qui se démarque par la qualité et le pragmatisme des recommandations qui en découleront. Est-ce seulement un beau discours? Ou un engagement ferme pris par le Chef d’Etat? Certes le Président ne saurait tout faire seul, il lui faut également des collarotaeurs qui partagent la vision. Wait and see…
MATSHI Darnell