RDC | Mukwege met en garde contre un accord qui légitimerait l’agresseur

Le silence ne fait pas la paix. Ainsi, Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, ne compte pas se taire. Dans une réflexion approfondie sur la déclaration conjointe publiée le 18 juin par les États-Unis à l’issue des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, le Dr Mukwege dénonce ce qu’il considère comme une tentative de « blanchir les crimes » sous couvert de coopération économique, et appelle à une refondation du processus autour de la justice, de la vérité et de la mémoire.

« Envisager une intégration économique et une cogestion des ressources naturelles avec un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières et de millions de morts, sans parler de justice et de réparations, est inconcevable pour la population congolaise », déclare-t-il.

À ses yeux, la déclaration conjointe issue des discussions de Washington, menée sous la médiation des États-Unis et l’observation du Qatar, est non seulement « vague », mais surtout « opaque et non inclusive ». Elle élude, dit-il, la réalité fondamentale : l’agression de la RDC par le Rwanda, reconnue par plusieurs rapports des Nations Unies et confirmée par la résolution 2773 du Conseil de sécurité.

Pour le prix Nobel, faire abstraction de cette agression, c’est commettre une violence supplémentaire à l’endroit des victimes. « Dans l’état actuel, l’accord en genèse reviendrait à accorder une prime à l’agression, à légitimer le pillage des ressources naturelles congolaises et à contraindre la victime à aliéner son patrimoine national en sacrifiant la justice », avertit-il.

Le Dr Mukwege rappelle que la résolution 2773, adoptée en février dernier, impose un cessez-le-feu immédiat, le retrait des Forces rwandaises du territoire congolais, la fin de leur soutien au M23 et le démantèlement des administrations illégales dans les zones occupées. Or, ces exigences essentielles sont, selon lui, passées sous silence dans le document américain.

« La paix ne peut se réduire à faire taire les armes, à obtenir un armistice et à faire du business. Pour être juste et durable, elle ne peut faire l’économie de la justice, du respect des droits humains et du droit international », insiste le gynécologue congolais.

Il estime qu’il est impératif de replacer la lutte contre l’impunité au cœur des efforts de pacification. Pour lui, une paix sans mémoire est une paix éphémère, et aucun accord ne doit occulter les massacres, les viols de masse et les déplacements forcés que le peuple congolais a subis depuis trois décennies. « La justice, la vérité et des réparations constituent des préconditions à la réconciliation et à la cohabitation pacifique au sein des pays des Grands Lacs africains », affirme-t-il.

Au-delà du contenu même de la déclaration, Mukwege se montre également critique face à l’approche bilatérale privilégiée dans ces discussions. Il estime que le conflit qui ravage l’Est de la RDC ne peut être réduit à une affaire entre Kinshasa et Kigali, tant il s’inscrit dans une dynamique régionale impliquant plusieurs armées étrangères, dont celles de l’Ouganda et du Burundi, et est lié dans des intérêts géostratégiques majeurs.


« La conclusion d’un accord bilatéral n’aura donc pas vocation à consolider une paix durable », prévient-il. À ce titre, il exhorte à adopter une approche multilatérale, assortie d’un calendrier clair pour le cessez-le-feu et le retrait des troupes étrangères, et soutenue par des sanctions fortes en cas de non-respect.

Il plaide également pour une relance de l’Accord Cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération dans la région des Grands Lacs. Il appelle à l’organisation d’une conférence internationale de haut niveau, avec la participation active des institutions garantes et des acteurs régionaux. Cette rencontre, selon lui, devrait placer la justice au centre des discussions, avec la participation significative des femmes, des jeunes et des communautés affectées.

« Le chemin de la paix dans la région des Grands Lacs est possible, si et seulement si les efforts en cours sont animés par la volonté politique des dirigeants de la région et par la bonne foi de toutes les parties impliquées dans la recherche d’une sortie de crise durable, qui ne pourra pas faire l’économie de la justice », conclut-il.

À travers ce texte, Denis Mukwege rappelle que la paix n’est pas une marchandise diplomatique. Elle se construit dans la lumière, avec les peuples, et sur les fondations de la vérité.

Osée MABIALA

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